Visites de nuit

Les entrailles habitées de cent djinns malfaisants
Caparaçonnés d’oursins ou encor de tessons…
Avez-vous donc vécu cette affreuse sensation ?
Bien armés, sitôt la nuit noire se promenant,

Follets déphasés, mettant sur le grill vos nerfs,
Très longtemps avant l’aube jouant les escargots,
Progressant, s’arrêtant au moindre soubresaut,
Rentrant dans leur coquille comme eux savent le faire.

Reprenant aussitôt leur train de sénateur,
Prétextant que comme eux l’on doit aussi veiller,
Ne vous laissant le plus petit instant de paix,
Se moquant éperdument du lieu et de l’heure,

Vous harcèlent, vous torturent sans nul atermoiement,
Vous usent sans scrupule, vous laissent épuisé…
Et au matin, quand vient enfin l’heure du lever,
Vous jurent un prompt retour en s’éclipsant gaiement.

© Robert Gastaud, 6 février 2008

 

Un texte en vedette

Le temps est gris depuis hier, le vent d'est nous amène de l'eau. Les nuages défilent... J'aurais pourtant bien voulu aller courir pieds nus dans les prés et prendre mon amoureux par la main. S'il avait fait beau et si nous n'avions pas eu de la visite, nous serions allés tous les deux à la source, loin là-bas au fond des Plaines. L'eau y est si fraîche et si transparente, et le coin si calme ! C'est notre jardin à nous, avec les grenouilles et les petits oiseaux...

Le repas de famille s'éternise ; la tante est venue de la ville en carriole avec son bourrelier de mari et ses deux garçons. Ce n'est pas souvent qu'ils viennent. Ils n'ont pas dû avoir chaud sur la route ! L'oncle a mis le cheval à l'abri sous l'appentis, dans le petit jardin au bas de la rue, là où il y a le grand poirier et, dans un coin bien ensoleillé, quelques groseilliers.

Maman nous a préparé un repas tout simple mais délicieux : des alouettes sans tête et des pommes de terre qu'elle a fini de cuire dans le jus de la viande. Les pommes de terre, c'est la spécialité du village, alors on en mange souvent mais on ne s'en lasse pas ! Il est d'un croustillant, le gros pain pétri par Maman et cuit hier au four banal ! En entrée, elle nous a fait une bonne grosse salade frisée juste arrosée d'un filet d'huile d'olive, avec des croutons frottés à l'ail.

La tante est venue avec un biscuit qu'elle a fait elle-même. Elle voulait nous apporter un gâteau à la crème, mais il n'aurait sûrement pas supporté le voyage ! Avant de nous en régaler, on a eu droit chacun à un petit bout du fromage de nos chèvres. C'est Maman qui le fait dans la cave. Avec le lait de la vache, elle fait du caillé, et puis aussi du beurre dès qu'il y a assez de crème ; je l'aide parfois, mais c'est dur ! Je préfère traire la vache ou les chèvres plutôt que tourner la baratte ! Mon plus jeune frère n'aime pas le fromage : tant pis pour lui, il y en a plus pour nous ! Le père a sorti une bonne bouteille de vin et m'en a même fait goûter un peu dans son verre, comme à mes frères. Les cousins sont trop jeunes, eux !

Maman a servi le gâteau avec des poires au sirop qu'elle avait préparées l'été dernier. Maintenant qu'il n'en reste presque plus et que les parents discutent de tout et de rien, nous, les enfants, avons eu le droit de nous lever de table, mais pas de sortir de la maison. Mes cousins et mes frères sont partis jouer dans un coin à leurs jeux de garçons.

Moi, je suis devant la fenêtre à regarder la pluie s'approcher. Je n'ai pas envie de jouer avec les garçons. Il sont trop gamins pour moi ! Il faut dire que je suis l'aînée et que je vais passer mon certificat cette année.

Ce matin, comme tous les dimanches, nous sommes allés écouter Monsieur le Curé et sa bonne parole, pendant que le repas mijotait doucement au coin du fourneau. Un beau prêche, qu'elle a dit Maman ! Je crois qu'il voulait parler de la Clotilde dont le ventre devient bien rond depuis quelques temps. La Clotilde, elle a dû faire sa communion deux ou trois ans avant moi. Elle est en âge de se marier, mais on dirait qu'elle n'a pas envie... Peut-être qu'elle a fait une bêtise avec le Fernand ? Il a l'air un peu bizarre, le Fernand, quand il vous regarde. Maman m'a dit de me méfier de lui !

Mais moi, je préfère mon Louis ! Il a passé seize ans. C'est un beau garçon, solide, qui aide bien ses parents aux champs. Et puis quand il a un peu de temps, si le dimanche les bêtes sont à la bergerie et n'ont pas besoin de lui ou si son petit frère Paul veut bien le remplacer pour les garder, il vient me voir et on va s'asseoir au bord du lavoir ou courir dans les champs. Au temps des champignons, il m'apprend à les reconnaître et surtout les endroits qu'on ne dit pas, où on peut en trouver pour faire une bonne fricassée. Avec son bâton, il soulève les feuilles pour me les montrer. Ou alors, c'est moi qui le rejoins au pré pour surveiller les chèvres avec lui. Parfois, il prend ma main. Elle est rêche, sa main, mais qu'est-ce que ça me fait doux ! Je crois qu'il a envie de m'embrasser mais qu'il n'ose pas.

Il est gentil, mon Louis ! Quand il me regarde, on croirait que nous sommes seuls au monde ! Il y a d'autres filles qui voudraient me le prendre, mais je ne me laisserai pas faire ! S'il le faut, c'est moi qui l'embrasserai, même si ça ne se fait pas !

© Naïs (Traduit du patois par Anaïs de F. — mai 2008)

 

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