Le vieux pont de bois

Pont de la SerreC'était moi, il y a près de quarante ans...

Là-haut dans la montagne, à une bonne heure de marche du village, enjambant le torrent depuis des lustres, j'étais déjà bien mal en point ! Les bergers et les promeneurs m'évitaient, de peur que je ne m'effondre. Alors, inutile désormais, je me morfondais et me contentais des rêveries de ces passants qui m'aimaient bien quand même, et me photographiaient...

Aujourd'hui, je n'existe plus, brisé par le gel et le poids de la neige, emporté par les eaux tumultueuses d'un trop précoce et trop doux printemps.

Que j'en ai vu passer, des troupeaux pour l'alpage et des randonneurs à qui j'évitais un bien long détour pour franchir le torrent, qui cache d'ailleurs bien son jeu sur cette photo !

Certes, j'avais fait mon temps, il fallait que je passe la main. Mais les hommes, ces ingrats, ont oublié tout ce que je leur ai rendu, à l'époque où ils voulaient bien s'occuper de me remettre en forme, après ces hivers fort rigoureux que nous endurions : ils ne m'ont pas remplacé ! C'est à croire que c'était juste pour me faire plaisir qu'ils me piétinaient gaiement, autrefois...

Aujourd'hui, les troupeaux ne traversent plus le village que par ces camions qui les amènent au plus près des alpages, par des routes cahoteuses qui leur donnent mal au cœur. Et ne parlons pas des promeneurs : de mon temps, ils savaient la mériter, la halte sous les saules, à deux pas de la cabane de berger, après une longue marche. Maintenant, ils viennent en nombre, sur deux ou quatre roues...

Mes rondins ne sont plus là, certes, mais mon âme reste gravée dans ces pierres sur lesquelles j'ai si longtemps été arrimé, ces pierres qui, elles aussi, subissent les outrages du temps, et avec qui je regarde l'eau qui s'enfuit, comme le temps...

© Robert Gastaud - juillet 2008

 

Un texte en vedette

C’était un beau pays ! le mien, le nôtre…
Jadis heureux, la purée de nous autres,
Où se nouèrent tant d’amitiés sincères
Entre ces hommes d’horizons si divers,
Petites gens plus que colons nantis,
Le respect, une idée de la vie…

Oui, la sueur, pour tous, est bien la même
Sur cette terre qu’avec passion l’on aime !

Ainsi transplantés, de force ou de gré,
Espagnols, Allemands expatriés,
Baléares, Italiens ou bien Français,
Espéraient ici la faim oublier.
Musulmans, israélites, chrétiens
Se donnaient la main, partageaient le pain.

Cette terre promise qui m’a vu naître,
Comme avant moi nombre de mes ancêtres,
S’est un matin tristement embrasée,
Avec fureur détruisant l’amitié,
Brisant la vie de nombreux innocents,
Faisant couler des rivières de sang,

Jusqu’à ce jour funeste, issue fatale,
Ces pleurs sincères, cet exode infernal
Qui sans remords dispersa les familles,
Vidant le cœur des garçons et des filles,
Laissant à tous, victorieux et vaincus,
Le goût amer d’un paradis perdu.

J’en chiale encore très fort, bien des années plus tard,
De cette guerre atroce, de ce brutal départ,
De ce bonheur volé, de cette heure arrêtée,
De ces belles amours bien trop tôt avortées,
De tous ces tendres cœurs brutalement brisés,
De ces racines perdues, méchamment arrachées !

Mais ces larmes de rage n’effaceront jamais,
Ce triste sentiment si puissamment ancré,
Que pourtant ce gâchis eût pu être évité
Par des hommes, dits libres, prétendument sensés,
Qui, fiers et si sûrs d’eux, la guerre ont préféré
Quand tous dans ce pays nous savions vivre en paix !

Du plus profond de mon cœur,
Et crachant toute ma rancœur,
Je vous le dis tout net :
Politiciens, je vous hais !

© Robert Gastaud 31 janvier 2008

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