Vacances

Il est vraiment tôt, mais je n'ai plus sommeil. Pour moi, les vacances au village sont bien plus intéressantes qu'à la ville et, si j'osais, je serais déjà à me promener dehors, mais je risquerais de réveiller la maisonnée en me levant maintenant. Je me languis...

Le soleil commence à peine à sortir de derrière la montagne et à filtrer à travers les volets, mais il doit déjà faire chaud. Les cigales chantent en effet à tue-tête dans le vieux poirier. Je les entends comme si elles étaient sous ma fenêtre ! Pourtant, le jardinet est à une vingtaine de mètres d'ici, mais comme aucune maison ne lui fait d'ombre au soleil levant, nos cigales ont eu vite fait de se réveiller ce matin ! Quelques oiseaux gazouillent à leur tour. De temps à autre, on entend les bruits de pas de ceux qui démarrent très tôt leur journée. Parfois un volet grince. Le bruit de l'eau qui court dans le petit canal couvert au milieu de la rue me berce... Bientôt, quelqu'un viendra peut-être laver son linge ou remplir un broc au lavoir, juste à côté, où l'eau est si froide.

Mes amies du collège ne peuvent pas comprendre ! Elles sont nées en ville et ne connaissent que ça. Pour elles, la campagne, ça n'est pas amusant... la montagne, oui, mais juste pour le ski ! Elles ne savent pas tous les trésors qu'on trouve ici, et elles ne méritent même pas que je leur raconte.

Pour moi, le village, ses collines, ses prés, sa grande plaine entourée de hauts sommets, ses bois, sa rivière, ses nombreuses sources et ses truites... c'est toute ma vie, même si je n'y suis pas née et si je n'y vis pas toute l'année. Le village, c'est aussi la Mémé Naïs et ses histoires d'il y a longtemps, que j'écoute avec toujours autant de plaisir, même quand elle me les a racontées cent fois, parce qu'à chaque fois, ce n'est pas exactement la même ; ce sont mes racines, quoi. Ce sont encore les amis que je connais depuis que je suis née, ceux d'ici et ceux d'ailleurs qui ont pris l'habitude d'y venir souvent.

Avec les copines ici, nous nous racontons quelquefois nos béguins, sans trop entrer dans les détails. Oui, nous commençons à avoir l'âge d'intéresser les garçons et de nous intéresser à eux. Alors, avec eux, qui sont souvent plus timides qu'ils en ont l'air, nous choisissons un sourire simplement poli, juste amical ou au contraire aguicheur, selon qui nous regarde. Celles qui ont déjà été embrassées par un garçon nous racontent, parfois. Mais je suis sûre que certaines nous disent des histoires pour se faire croire plus grandes, et que d'autres nous cachent des choses !

Ici, nous ne sommes pas très nombreux à avoir à peu près le même âge, alors quand des estrangers viennent passer quelques jours à l'auberge ou chez des parents, les nouvelles têtes intéressent tout le monde ! Nous regardons avec intérêt les garçons inconnus, mais avec défiance les filles : c'est qu'elles pourraient nous prendre nos amoureux !

Bien souvent l'amitié se déchire un peu avec la rivalité, mais ça ne dure pas trop... Et quand celui dont on a le béguin s'intéresse à une autre, ça nous fend le cœur !

C'est difficile, parfois, de trouver à qui confier son chagrin. Alors, de temps en temps, quand nous ne sommes que toutes les deux, je me raconte à Mémé Naïs. Eh bien croyez moi si vous voulez : de son temps, c'était pareil, sauf qu'il y avait moins d'estrangers qui venaient passer l'été et que les couples se formaient peut-être plus vite. Mémé Naïs, elle était guère plus grande que moi quand elle a fréquenté pour la première fois ! Mais attention, « fréquenter », c'était se tenir la main, se faire un baiser sur la joue, un peu plus que d'amitié, et puis un jour un baiser sur le coin des lèvres, rapide, presque volé, que le garçon osait. Après, plus tard... Mémé Naïs ne m'a pas encore raconté ! Elle dit que je suis encore trop pitchoune...

Moi, je n'ai pas encore de vrai amoureux, ni à la ville ni ici. Mais les grandes vacances ne font que commencer... alors peut-être que cette année je fréquenterai à mon tour ? Quand-est-ce qu'on se lève ???

© Anaïs de F. Juin 2008

Un texte en vedette

Mémé Naïs m'a tant raconté de choses que, parfois, je me demande si ce n'est pas elle qui pense à travers moi ! Souvent, je m'évade, ne sachant plus trop si je plane encore à faire la course avec les papillons ou si je saute de branche en branche avec mon ami l'écureuil, si je suis moi, si je suis elle.

C'est vrai que j'aurais aimé vivre la vie simple, pourtant rude, de Mémé Naïs. C'est vrai aussi que j'en ai surtout retenu les bons moments et oublié les contraintes, peut-être parce qu'elle en parlait moins.

J'habite la ville, et nous ne retournons pas souvent au village. Quand j'étais petite, alors que la route était moins bonne et que nous mettions plus longtemps pour le rejoindre, nous y allions souvent, mais maintenant...

Nous nous arrêtions en chemin pour acheter des croissants croustillants comme on n'en trouvait nulle part ailleurs. Un peu plus loin, impossible de ne pas s'arrêter à La Bastide, pour y prendre, chez le boulanger qui était presque devenu un ami, du pain de campagne cuit au feu de bois, d'un goût incomparable : un plaisir si simple ! Et quelle tristesse lorsque, par malheur, la boulangerie était fermée ou que « notre » pain avait été dévalisé par des touristes de passage !

Je me souviens d'une anchoïade comme jamais je n'en ai mangé depuis : ce pain de campagne, coupé en deux, réchauffé doucement dans la cheminée, jusqu'à ce que la mie commence à croustiller, puis tartiné de cette pommade préparée avec amour par la cousine et remis à griller près des braises. Ce parfum de pain chaud, d'anchois, d'ail et d'huile d'olive, ce croustillant... j'en salive encore ! Un plaisir si simple...

Moi, je ne rêvais pas d'être une enfant de la ville, ni de ressembler à la fille du châtelain, que Mémé Naïs n'enviait pas, et qui, dans les rues du village ou dans les champs, aurait autant crotté ses vêtements que les autres, et n'avait donc pas la liberté des petites paysannes, sa gouvernante veillant au grain. Que je la plains, moi aussi ! Je rêvais d'être une enfant du village, courant les champs seule ou avec les filles et garçons de mon âge, marchant pieds nus dans la mousse si douce ou dans l'eau glacée du ruisseau, pêchant à la fourchette la truite qui se cache au milieu des racines, à l'affût dans les trous sous la rive, et la faisant griller aussitôt, avant d'aller cueillir quelques fraises des bois ou des framboises, ou bien, un peu plus tard dans la saison, de délicieuses noisettes que l'on trouve plus haut en grimpant vers la crête.

Alors le soir, je m'assieds sur mon lit, dos au mur, je prends un bon gros coussin que je cale sur mon ventre et que j'enserre comme Mémé Naïs m'enlaçait pour me raconter ses histoires, j'éteins la lumière et je pars courir là-haut, dans le village et dans ses prés. Je vais revoir mon ami l'écureuil facétieux ou chercher les champignons, j'espère y trouver moi aussi mon Louis...

© Anaïs - Juin 2008

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